
Notre périple estivale nous a conduit dans le sud ouest de la France. En voyant défiler le panneau indicateur pour ‘Jarnac’, ma premier pensée a été pour François Mitterrand. Cette commune de Charente est la ville natale et la dernière demeure de l’ancien président de la République.
Puis mon esprit s’est mis à associer trahison, déloyal et perfide à la ville de Jarnac. Quelques minutes de recherches ont suffit pour se rendre compte que ces qualificatifs faisaient référence à l’expression ‘coup de Jarnac’. L’origine de cette locution remonte au XVIè siècle et fait référence au dernier duel judiciaire qui a opposé Guy Chabot et François de Vivonne.
Le camouflet à l’origine du duel
Au cœur de l’affaire se trouve Guy Chabot de Saint-Gelais, Baron de Jarnac. En mars 1540, il épouse Louise de Pisseleu, sœur de la duchesse d’Étampes, favorite de François 1er. Cette union le place dans un réseau complexe de rivalités, notamment avec Diane de Poitiers, maîtresse du futur Henri II. Un jour, lors d’une conversation, Chabot se vante de la richesse de ses vêtements. Ce propos, entendu par Diane et le Dauphin, est habilement déformé pour le ridiculiser, insinuant une faveur inappropriée.
Bien qu’il opposa un fort démenti, Chabot se voit contraint de défendre son honneur. Il demande au roi l’autorisation de provoquer un duel judiciaire, mais François Ier refuse, conscient que la querelle découle d’intrigues de cour. Ce n’est qu’après la mort du roi, survenue en mars 1547, que Chabot renouvellera sa demande auprès d’Henri II, qui l’accepte.
Ne pouvant pas affronter directement le Dauphin, François de Vivonne (seigneur de La Châtaigneraie) est désigné pour croiser le fer avec Guy Chabot. Connu pour sa force physique, de La Châtaigneraie est également un bretteur craint et respecté. Afin de préparer au mieux le combat, Chabot prend des leçons d’escrime auprès du capitaine Caize, un spadassin italien, qui lui a enseigné une technique secrète
Le 10 juillet 1547, le duel a lieu près du Château de Saint-Germain-en-Laye. Les règles du duel à cette époque sont strictes: les duellistes doivent prouver leur bravoure sans recourir à la tricherie. Armés de rapières, Jarnac et Chabot s’affrontent dans une arène devant le Roy et toute sa cour. Lors d’une série d’échanges, la Châtaigneraie avance un peu trop sa jambe vers l’avant. Jarnac en profite et porte le célèbre coup à l’arrière de la cuisse. Le roi, témoin de ce coup habile et imprévu, doit intervenir pour stopper le combat avant que Jarnac ne porte le coup final. La Châtaigneraie, gravement blessé, meurt le lendemain.
Expression « Coup de Jarnac »
La botte secrète de Guy Chabot lors du duel de 1547 est bien évidemment à l’origine de l’expression « Coup de Jarnac ». Au départ, elle désigne une action habile et imparable. Au fil du temps, le sens de l’expression a pris une connotation péjorative, proche de coup bas et d’acte pernicieux. Est-ce que le coup au jarret du Baron de Jarnac était une botte géniale ou un acte déloyal ? une simple différence de point de vue me direz-vous 😀
Pour y voir plus clair, intéressons à l’évolution du sens de cette expression au fil du temps. Peu de temps après le duel, l’expression « coup de Jarnac » est synonyme de coup habile et loyal. A partir de la fin du XVIIIe siècle, les jésuites interprètent différemment l’attitude de Guy Chabot. Pour eux, il s’agit d’un tour auquel on ne s’attend pas et les religieux vont même jusqu’à consigner par écrit cette traitrise dans le Dictionnaire de Trévoux. Un siècle plus tard, Émile Littré tente d’inverser la tendance dans son ouvrage: le coup de Jarnac est un coup habile et loyal dans toutes les règles de l’honneur.
« Ma caisse ne vous regarde pas, dites-vous ? Soit ! Opérez sur la vôtre, mais n’emplissez ni ne videz la mienne. D’ailleurs, qui sait si tout cela n’est pas un coup de Jarnac politique ; si le ministre, furieux de me voir de l’opposition, et jaloux des sympathies populaires que je soulève, ne s’entend pas avec M. Debray pour me ruiner ? »
La tirade ci-dessus est extraite du 3è tome du Comte de Monte Cristo. Comme vous pouvez le voir, Alexandre Dumas donne également un sens péjoratif à l’expression « coup de Jarnac » en 1861.
Comment utiliser l’expression « coup de Jarnac » ?
Le duel judiciaire entre Guy Chabot et François de Vivonne illustre à lui seul les rivalités de cour et les enjeux d’honneur à la Renaissance. De cet affrontement est né l’expression « coup de Jarnac ». Initialement, le combat est perçu comme loyal et Guy Chabot aurait fait preuve de ruse et d’habileté. Avec le temps, l’expression « coup de Jarnac » est associé à la traîtrise et au coup bas. Cette transformation linguistique reflète la complexité des interprétations culturelles, où la perception d’un acte peut changer radicalement selon le contexte.


